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L'expérience ultime est toujours de là,
circonstance éternelle et catastrophe. Le hasard comme
cette expérience ultime serait aussi de là.
On y voit que la puissance représentative de la langue
cède devant cette forme du réel qu'est précisément
le hasard. Alors le hasard là où, plus tard,
Artaud mettra cruauté. Le hasard c'est le réel
que rien, pas même un accès de réalité,
ne saurait abolir. Comme en écho, dans l'écriture
métriquée ces vers : «une dentelle s'abolit/dans
le doute du jeu suprême.» Ce qui peut advenir
aux choses, l'abolissement, sous le coup de dé du jeu,
ne le peut à ce qui fonde choses et jeux. Lisière
que cette dentelle qui dessine la frontière du jeu
éternel de l'amour, mais qui insinue ce qui le cerne
à son tour : doute. Il y aurait quelque chose de cet
ordre : doute ça a trait au hasard. Comment? Précisément
dans l'ébranlement des certitudes : celle du coup de
dés, mais aussi celles de la pensée. N'oublions
pas ce qui clôt le poème, aphorisme rappel de
cette base de toute pensée, de toute velléité
représentative : «toute Pensée émet
un coup de dés.» Jamais un coup de dé
n'abolira le hasard. Jamais une pensée n'abolira le
hasard, jamais une pensée n'abolira le doute.
La langue qui s'insinue délivre son fondement, elle
est
contre, contre toute certitude, cette certitude que précisément
la métrique assène. La langue ces mots
destinés à Verlaine , rencontre laboratoire
expérimental, restitution du hasard contre le hasard.
Le coup de dés ce n'est pas la poésie : «le
hasard n'entame pas un vers, c'est la grande chose.»
Le maître est là, peut-être précisément,
celui-ci personnage du poème, qui, semble-t-il, est
hors hasard, «l'unique Nombre qui ne peut pas être
un autre», pourtant, chose de hasard : «hésite».
Hésite comme hésite la langue poétique
avant de se trouver et d'imposer sa maîtrise. Toujours
à Verlaine ceci : «ce à quoi nous devons
viser surtout est que, dans le poème, les mots
qui déjà sont chez eux pour ne plus recevoir
d'impressions du dehors se reflètent les uns
sur les autres jusqu'à paraître ne plus avoir
leur couleur propre, mais n'être que les transitions
d'une gamme.»12 Nous sommes en 1866, Mallarmé
débute une correspondance avec Verlaine, il habite
et travaille à Besançon.
extrait,
paru dans le n°3 de tija.
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